De mes 15 à 22 ans, j’ai passé plusieurs heures par jour à jouer à toutes sortes de jeux en ligne sur mon ordinateur. J’étais tellement passionnée que j’ai amené le sujet à l’université où j’ai écrit des articles et fait des présentations sur l’impact positif des jeux vidéo. Ce faisant, je n’ai pas mentionné les aspects négatifs que j’ai vécus en tant que gameuse noire, soit la mysogynoire ambiante.

Les jeux vidéo sont un autre espace où les femmes noires ne peuvent pas toujours se sentir en sécurité. Cela va totalement à l’encontre du but initial, qui est de divertir et d’offrir une expérience joyeuse. En tant que créatrice d’AfroGameuses (une communauté de joueuses et geek noires) et ambassadrice de Women In Games, je tiens à mettre en lumière ces 4 joueuses noires originaires des États-Unis, du Canada, de Madagascar et des Pays-Bas. Dans cette interview, Luana, Rayvenne, Emi et Joëlla ont accepté de partager avec nous leur réalité de femme noire dans une industrie dominée par des hommes blancs.

Comment avez-vous commencé à jouer aux jeux vidéo ?

gameuse noire Luana
Luana : si je devais vivre dans un autre monde, ce serait avec des Pokémon

Joëlla : J’ai été contaminée par mon grand frère. Il a acheté un Sega 16-bit avec le jeu Sonic The Hedgehog. Je suis devenue accro depuis. Après l’école, BOOM jouait à des jeux avec mon frère et ses amis. Mes amis m’ont toujours trouvée bizarre de jouer aux jeux vidéo, parce qu’à l’époque, les filles ne jouaient qu’avec des poupées Barbie.

Luana : J’ai commencé avant l’âge de 5 ans avec une petite console Atari et les jeux de pixels incolores, puis la Playstation, la Game Boy, etc. Jusqu’à ce que je passe du côté PC en 2011. J’aime tous les types de jeux, mais j’ai toujours eu un penchant pour les RPG, les FPS et les jeux de course.

Emi : Mon premier jeu vidéo était Spyro the Purple Dragon sur PlayStation. Je préfère les jeux de réflexion et de stratégie aux RPG et aux Pokémon.

Rayvenne : Vers l’âge de 4 ans j’ai eu une Gameboy et un Atari. À l’époque, la plupart des jeux étaient des jeux d’aventure/stratégie de base. Je jouais principalement à Tetris, Pong, Blaster et Pac-Man. Étant l’enfant unique d’un professeur d’université, lorsque j’ai commencé à me lancer VRAIMENT dans les jeux PC, il était obligatoire pour moi de trouver un équilibre entre le gameplay et les jeux PC éducatifs ennuyeux, sinon je jouais surtout aux jeux Power Ranger, Tomb Raider et Hover.

Quel est votre rôle actuel dans l’industrie du gaming ?

Luana : Je suis la co-fondatrice de l’association Women In Tech Madagascar qui vise à promouvoir la technologie, en particulier auprès des femmes. Grâce à ce rôle, j’espère proposer des activités liées au jeu vidéo. En 2017, nous avons donné une formation gratuite de 4 mois sur le développement de jeux vidéo. Je suppose que je suis également « créatrice de contenu » sur Twitch où j’ai commencé à faire du streaming en 2019 et sur YouTube avec une chaîne de gaming.

Joëlla gaameuse noire de Find Gekk Spots

Joëlla : Je m’adresse aux geeks et aux joueurs hollandais qui aimeraient trouver des activités geek à faire dans leur quartier ou lors de leurs déplacements. Avec mon site Find Geek Spots, je veux avoir la plus grande base de données pour que les geeks aventureux puissent se rencontrer en ligne et se connecter encore plus hors ligne.

Emi : Je dirige une association de gaming aux états unis pour les femmes et par les femmes appelée The Athena Alliance CLT. Nous nous concentrons sur les événements publics et numériques, la sensibilisation de la communauté et les campagnes de charité. Je suis également administratrice de la Black Gamer League.

Rayvenne : Je suis étudiante en conception de jeux UX (Expérience utilisateur) et UI (Interface utilisateur) au Canada.

Avez-vous vécu des expériences sexistes et racistes en tant que gameuses noires ?

On m’a traitée de salope, de pute et tout le reste pendant une partie de Call of Duty MW2. Ça ne m’a pas dérangée parce que c’est comme ça que j’ai su que je leur bottais le cul.

Joëlla

Luana : J’ai reçu de très gentils messages comme « Tu n’es pas à ta place ici, retourne plutôt dans la cuisine » en jouant à Dota 2.

Emi : Une fois en jouant à Overwatch, quelqu’un m’a demandé de lui “envoyer de la pisse ». On m’a aussi appelée “négresse” et d’autres termes péjoratifs.

Rayvenne : J’ai eu des problèmes parce que j’utilisais une photo de moi comme avatar. Donc je recevais des invitations non sollicitées à jouer avec des inconnus et des messages de personnes qui essayaient de confirmer que j’étais une vraie fille ou qui complimentaient ma photo. Je recevais aussi parfois des blagues sarcastiques sur le fait de « ne pas être douée ou de ne pas aimer les jeux de tir à la première personne parce que toutes les filles sont mauvaises”. J’ai fini par utiliser des avatars abstraits et j’ai constaté une nette diminution de tous ces problèmes.

Les personnages féminins noirs sont-ils bien représentés dans les jeux vidéo ?

Senna - Personnage féminin noir dans League of Legends
Senna – Personnage féminin noir dans League of Legends

Rayvenne : Les jeux de combat sont probablement les pires dans ce cas : dans Mortal Kombat, Tekken et Dead or Alive, il n’y avait pas de personnages féminins noirs jusqu’à ces 4 dernières années environ, et ils sont souvent la progéniture d’un personnage masculin noir (généralement américain) ce qui justifie leur présence, au lieu de leur créer un récit indépendant.

Dans les genres Action, Aventure, Fantasy et Science-fiction, vous pouvez créer vos propres personnages. Cependant, les histoires des personnages féminins noirs sont évidemment initialement écrits pour un personnage principal masculin avec les échanges de genre nécessaires pour le dialogue, mais sans le sens d’une identité féminine séparée. Ce n’est que récemment que des jeux ont été écrits pour un personnage principal féminin, mais pas pour les femmes noires, à moins que le jeu ne soit construit sur une franchise cinématographique préexistante. Il y a donc beaucoup de place pour une croissance concertée nécessaire. Mon personnage féminin noir préféré est Nico de Devil May Cry 5.

Reyna de Valorant

Luana : Je pense que nous commençons à intégrer un peu plus de personnages féminins noirs avec des rôles marquants, comme celui de Marlene dans The Last of Us. Ces derniers temps, j’ai adoré Reyna de Valorant, probablement l’un des agents les plus redoutables du jeu !  

Emi : Je pense que l’industrie a encore un long chemin à parcourir en termes de bonne représentation des femmes noires dans les jeux. On entend souvent un acteur noir faire la voix d’un personnage qui n’est pas noir. C’est le cas d’Ashley Williams dans Mass Effect, dont la voix est interprétée par Kimberly Brooks. Mon personnage féminin noir préféré est Clémentine de la série The Walking Dead Telltale et Skybound, simplement parce que nous l’avons vue grandir et progresser dans cette franchise.

personnage féminin noir

Joëlla : Dans les jeux vidéo, vous pouvez être qui vous voulez et avoir les pouvoirs les plus étranges ou les plus fous. J’aime beaucoup voir comment ils font ce lien avec les personnages féminins noirs comme Storm de X-Men ou Vanascha de Horizon Zero Dawn, Sheva Olomar de Resident Evil 5 ou Jade de Mortal Kombat.

Selon vous, comment rendre le secteur du jeu vidéo plus diversifié et inclusif ?

Joëlla : Le secteur du jeu vidéo est en pleine expansion. Être un geek ou un nerd est cool maintenant. Les gens veulent travailler dans l’industrie du jeu vidéo. Je pense que beaucoup de gens aimeraient savoir où trouver certains emplois. Nous devons le rendre plus accessible aux personnes qui ont les compétences requises pour ce travail. Au lieu de regarder la couleur de leur peau, regardez leur CV. Nous avons beaucoup de personnes brillantes dans la communauté noire. Donnez-leur une chance. 

Emi gameuses noires

Emi : Nous devons apprendre aux enfants noirs que le secteur du gaming est un domaine viable dans lequel ils peuvent entrer. Et nous devons nous asseoir avec les recruteurs et les autres leaders de l’e-sport et les impliquer dans ces conversations d’inclusion afin qu’ils soient attentifs dans leurs recrutements.

Luana : The Last of Us 2 est un bon exemple pour rendre un jeu accessible à tous. Le jeu offre plus de soixante options pour atteindre cet objectif : pour les joueurs aveugles ou malvoyants, sourds ou malentendants, handicapés moteurs ou à mobilité réduite. En fin de compte, la meilleure façon de faire mieux est de se soutenir mutuellement.

Rayvenne : Nous avons besoin d’une plus grande diversité au sein des créateurs, des concepteurs de jeux, des écrivains aux artistes-concepteurs, afin de créer de nouvelles histoires au lieu d’anciennes franchises.

Quels conseils donneriez-vous aux gameuses noires qui veulent travailler dans l’industrie du jeu vidéo ?

Joëlla : Saches de quoi tu parles ! Sois bien informée, je dis toujours aux gens… IL FAUT LEUR EN METTRE PLEIN LA VUE AVEC VOS CONNAISSANCES ! Lisez l’actualité du jeu vidéo. Sachez ce qui se passe dans le secteur qui vous intéresse. Les gens essaieront toujours de vous tester, alors vous devez vous assurer de toujours avoir une réponse toute prête pour eux. Et soyez authentique : montrer votre passion est toujours un atout.

Emi : Faites-le ! Je vous soutiendrai. Nous pouvons faire ce chemin et apprendre ensemble.

Rayvenne : Dans le gaming, je dirais : Allez-y, la société a besoin de personnes comme vous. Apprenez à coder,  à faire de la modélisation 3D, de la réalité virtuelle ou augmentée, ou encore de la conception, de l’écriture et de la conception de niveaux plutôt que des rôles traditionnels comme le concept art qui sont sursaturés. L’industrie évolue, alors apprenez en plus sur les niches émergentes et tirez-en parti pour vous faire connaître.
Connaissez votre valeur et utilisez vos expériences uniques. Assurez-vous de connaître la rémunération de vos collègues et apprenez à négocier vos contrats (qu’il s’agisse de mentorat, de rémunération ou d’avantages). Mettez-vous également en contact avec des personnes du secteur afin de disposer de nombreux mentors pour vous aider lorsque vous êtes bloqué ou que le syndrome de l’imposteur vous frappe. 

luana gameuse noire

Luana : Battez-vous pour votre place ! Tout le monde n’est pas réticent à voir des femmes dans ces domaines, beaucoup de gens vous traiteront comme des égales. Nous sommes également là, les filles et les femmes de l’industrie, pour vous soutenir de toutes les manières possibles.

Le mot de la fin

Comme vous pouvez le constater, les femmes noires continuent à être confrontées à des problèmes de genre et de racisme dans l’industrie du jeu vidéo. Même si cela ne nous empêchera jamais de réussir, nous devons continuer à faire pression sur l’industrie du jeu pour qu’elle crée davantage de personnages à la peau noire.

Oui, noir, pas café au lait ou caramel. Parce que beaucoup de personnages sont pris pour des Noirs alors qu’ils sont en réalité de peau mate et ne sont pas d’origine africaine. Créer de l’ambiguïté ethnique pour cocher la case diversité n’aide pas à la représentation de personnes à la peau vraiment noire comme moi. Pour cette raison, je n’avais pas la possibilité de m’identifier à un personnage noir jusqu’à l’année dernière où League of Legends a créé le Senna, le premier personnage noir du jeu.

Cela dit, « c’est la possibilité de réaliser un rêve qui rend la vie intéressante » comme l’a dit Paul Coelho. Nous avons tellement de joueuses noires brillantes et passionnées qui se battent pour obtenir une place à la table ! En tant que joueuse noire française, j’ai rarement l’occasion d’interagir avec une autre gameuse noire en ligne. Je tiens donc à remercier Luana, Emi, Rayvenne et Joëlla pour cette interview révélatrice qui me donne de l’espoir pour le futur du gaming. 

Êtes-vous une joueuse noire ? Rejoignez la communauté des Afrogameuses pour en rencontrer d’autres !

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